MALGRÉ DES TEMPS MOROSES POUR LA PRODUCTION PORCINE, MARTIN AUGER CONTINUE D’INVESTIR DANS DES BÂTIMENTS PRODUCTIFS AXÉS SUR LE BIEN-ÊTRE ANIMAL – ET LE BIEN-ÊTRE HUMAIN!

Ça sent encore le béton neuf quand on pénètre dans l’enceinte de la nouvelle maternité d’Élevages MJM, copropriété de Mathieu Bisson, de Jean-Pierre Audesse et de Martin Auger, à Sainte-Ursule en Mauricie. Deux douches donnent accès au reste de l’aire de services – savon et survêtements inclus. Une cafétéria tout équipée invite à des pauses et à des réunions d’équipe. L’entreprise au complet, Élevages Auger, compte 13 employés, dont deux travailleurs étrangers. C’est là qu’on trouve Martin Auger et le technologue Jean-François Blais du Regroupement porcin des Deux Rives (RP2R).

« Martin, c’est un avant-gardiste, mentionne Jean-François. Il ne suit pas la parade. Il est toujours en train de penser pour s’améliorer! » L’expert-conseil connaît l’homme depuis leurs études en zootechnie à l’ITAQ. Habile en sciences, Martin aurait bien poursuivi ses études en médecine vétérinaire, car la pathologie le fascinait. Ce ne sont pas les maladies qui manquent en production porcine! Mais en 2002, changement de plan : il rachète la ferme fondée en 1978 par ses parents, André et Ginette. « J’ai passé ma jeunesse entre deux truies, pas à la garderie », image-t-il. Spécialisée dans les races pures et la commercialisation de femelles hybrides, la Ferme Augi-Porc comptait alors 300 truies Yorkshire et Duroc.

Au fil des ans, l’éleveur, qui a aujourd’hui 47 ans, a pesé sur l’accélérateur. Il exploite maintenant quatre sites d’élevage, dont deux maternités qui accueillent un total de 2800 truies qui fournissent 75 000 porcelets annuellement, écoulés dans le réseau RP2R. Si Martin se définit d’abord comme un producteur naisseur – c’est lui qui a acquis la maternité hyperperformante de Denis Beaudoin de la Ferme du Beauporc –, il élève tout de même 9000 porcelets pour l’engraissement. Autrement, les 175 ha de la ferme sont loués à des producteurs spécialisés en grandes cultures.

Alors qu’on dit que le parc de bâtiments porcins est vieillissant au Québec, Martin prend plaisir à faire de l’achat-réno-revente. En tout, c’est neuf engraissements qu’il a complètement retapés!

VISITE À SAINTE-URSULE

C’est probablement la maternité la plus moderne au Québec, voire une des plus modernes dans le monde. Avec ses 1400 truies réparties en six bandes gérées aux quatre semaines, elle a une taille appréciable qui justifie des équipements dernier cri et des aménagements originaux.

Pour concevoir ses plans, Martin a d’abord visité, avec Jean-François, une ferme corporative (la ferme Maxlie) qui avait installé le système d’alimentation GESTAL 3G de JYGA Technologies, conçu au Québec. Ce dispositif permet à la truie gestante de consommer sa ration en minimisant les risques d’agression. Trois cages permettent à un groupe de 50 truies en liberté de s’alimenter. La ration quotidienne, offerte à coups de 200 g pour un total moyen de 3,5 kg de moulée, est individualisée selon la parité et l’état de chair, ajustée de plus ou moins 10 % (maigre, normale, grasse). Martin considérait les autres systèmes d’alimentation de fabrication européenne, mais quand il a traversé l’océan pour visiter des fermes et le salon d’exposition en productions animales EuroTier à Hanovre (Allemagne), il a constaté que le Québec était déjà à l’avant-garde, le système GESTAL étant distribué en Europe. D’ailleurs, le contenu du site Web de l’entreprise est offert en six langues!

En Allemagne, en Espagne et en France, où il a visité pas moins de 10 fermes indépendantes, Martin a pu se faire une idée sur le bien-être animal, mais c’était d’abord de bien-être humain dont les Français lui parlaient. Si on tentait par le passé de minimiser la superficie des bâtiments pour économiser quelques dizaines de milliers de dollars en matériaux, Martin est revenu avec une autre vision : plus d’espace pour la circulation humaine et animale. « Pour la maternité, ça a coûté 100 000 $ de plus pour faire des passages d’environ 150 cm (60 po) plutôt que de 75 cm (30 po) en mise bas, estime-t-il. J’ai aussi dépensé 13 000 $ pour l’installation de fenêtres en gestation et en mise bas. »

La lumière naturelle inonde les deux grandes chambres de mise bas qui regroupent 70 cages chacune, de même que la gestation dont la ventilation est de type tunnel, une rareté pour les bâtiments porcins. Orientées au nord-est du bâtiment, les entrées d’air se trouvent dans la section des parcs de truies gestantes alors que les ventilateurs, tout au fond, tirent l’air vicié au sud-ouest. Entre les deux, on sent un agréable courant d’air qui décourage la présence des mouches en été et rafraîchit animaux et travailleurs.

Le contrôle de ce brassage d’air est assuré par le système sans fil par basse fréquence radio (900 MHz) d’Agrimesh Technologies, système qu’apprécie Martin puisqu’il n’a pas eu à relier les appareils au module de contrôle. L’automate fait appel aux paramètres programmés (température, humidité, taux d’ammoniac, ventilation minimale), aux sondes intérieures et extérieures et à l’intelligence artificielle (données antérieures) pour moduler l’ouverture et la fermeture des trappes, le démarrage ou l’arrêt des ventilateurs ou des appareils de chauffage. « Maintenant, je ne ventile plus des pieds cubes à la minute. En fait, j’ai déjà appelé le service après-vente parce que des ventilateurs ne fonctionnaient pas alors qu’il faisait 35 °C à l’extérieur! C’était normal : le système avait détecté qu’il ne fallait pas diluer l’air plus frais à l’intérieur. » Quand Martin analyse les graphiques d’humidité et de température, il constate plus de stabilité.

D’autres équipements témoignent du penchant des associés pour les technos : compostage des animaux morts à la ferme, compteurs d’eau connectés pour prévenir les dégâts et le lisier en trop, niches pour le confort des porcelets.

CONTRÔLER SA DESTINÉE

Martin Auger prend des mesures pour diminuer les risques inhérents à la production porcine, à laquelle la filière tente d’ajouter des attributs, comme la qualité, la salubrité, la traçabilité, etc. Président des Éleveurs de porcs de la Mauricie depuis deux ans, il a assisté, impuissant, à la diminution du nombre d’éleveurs de 200 à 68 depuis 20 ans. Seulement sept demeurent à leur compte. « Je préfère m’impliquer dans une organisation que de subir les décisions », soutient le producteur, un pied dans le syndicalisme.

L’éleveur a son autre pied dans la coopération. Ses deux engraissements sont à forfait avec RP2R. Il comprend les difficultés qui affligent Olymel et la production porcine : éclosions de COVID chez les employés, manque de main-d’œuvre pour ajouter de la valeur aux découpes, fermeture de marchés, surproduction mondiale, épizooties. « Les prochaines années seront loin d’être faciles, mais on a une belle filière, une viande reconnue et appréciée. Ça ne peut pas s’arrêter là. Tous les maillons de la chaîne doivent s’entendre. » Au tournant des années 2000, un producteur mentor de la Beauce l’a grandement inspiré, lui disant en substance que lorsque les difficultés s’accumulent, des occasions surgissent au même moment; il reste à les saisir rapidement.

L’éleveur évoque des choix plutôt que des fatalités. « J’ai décidé de bien me positionner, de maintenir un ratio d’endettement raisonnable, de battre le modèle de coûts de production et de rénover mes bâtiments. » Il cultive une attitude positive rafraîchissante qui pollinise son milieu et ses employés fidèles qui contribuent à la prospérité des fermes qu’il possède. Cette aura d’optimisme a sûrement un effet sur Lucas, son garçon de 16 ans, qui prend goût à l’élevage porcin.

Une troisième génération pour Élevages Auger?

Auteur

Étienne Gosselin, Agr, M. Sc.