LA FERME MICHEL ET MADELEINE CHAGNON SE DISTINGUE PAR SES PERFORMANCES TECHNIQUES AUSSI BIEN QUE PAR SON CARACTÈRE RÉSOLUMENT FAMILIAL : SI TOUS Y TRAVAILLENT, TOUS N’Y SONT PAS À TEMPS PLEIN, CE QUI DONNE UNE FERME EXPLOITÉE ET ADMINISTRÉE… PAR TOUT UN CHACUN!
« Pour moi, ils sont la parfaite définition de ce qu’on appelle la “ferme familiale”. Ici, l’expression prend tout son sens », dit l’experte-conseil et technologue Sarah Lafrenière, du Regroupement porcin des Deux Rives (RP2R). Rang Saint-Hyacinthe, à Mirabel, cinq pouponnières (5000 places), deux porcheries d’engraissement (2100 places) et 470 ha de maïs, soya et blé constituent cette dite ferme, ce dit lieu de rassemblement où entraide et fraternité sont omniprésentes.
Deuxième génération de l’entreprise fondée par leurs parents, Madeleine et Michel, en 1987, les frère et sœur Alex et Anne-Marie Chagnon perpétuent avec leurs propres enfants le modèle singulier transmis par leur grand-père (Jean-Paul, employé de la voirie de Sainte-Angèle-de-Monnoir) et leur père (Michel, retraité de la Sûreté du Québec). Madeleine Lamarche et son policier ont amassé leur capital pour acheter une première terre de 45 ha, prenant longtemps leurs vacances pour la cultiver. En 1998, la même année où Alex obtenait son diplôme de l’ITAQ, on multipliait les actifs en construisant trois pouponnières, suivies de bâtiments d’engraissement en 2001 et de deux autres pouponnières en 2005.
Alex, de son côté, conjugue agriculture et carrière de pompier à temps plein, alors qu’Anne-Marie est infirmière et enseigne au collégial en soins infirmiers. Mais la personne pivot qui assure la majorité des tournées quotidiennes, celle qui « va aux cochons » comme on « va aux fraises », c’est la conjointe d’Alex, Emmanuelle Smith. Le conjoint d’Anne-Marie, Steve Thibeault, spécialiste en aménagement de cours résidentielles, trouve aussi le moyen d’aider à la ferme, malgré plus de 1500 clients à servir!
OPTION AGRICOLE
Le processus de transfert d’une génération à l’autre est entamé. Si Michel, 72 ans, se charge des tâches qu’Emmanuelle ne réussit pas à accomplir, il assure lui aussi, tel un roc, une présence quotidienne. Côtoyer ses enfants et ses petits-enfants fait le bonheur de Michel, dit « le grand sage », qui effectue sans broncher une vidange d’huile ici ou un ménage d’auto là pour ses petits-enfants, qui découvrent les joies de véhicules propres et bien entretenus!
William, les jumelles France et Sabrina, les filles Coralie, Lorie et Arianne : tous savent que la porte est toujours ouverte pour une participation à l’actionnariat. Mais pour l’instant, la plus jeune génération, qu’on dit hyperactive, se manifeste lors des entrées de porcelets toutes les sept semaines (une semaine de vide sanitaire) et divisées en trois sevrages d’une même source : les Fermes boréales, au Témiscamingue. Il paraît même – il nous a été impossible de le vérifier avant de mettre sous presse – que les jeunes demandent « quand est-ce qu’on ramasse la roche? » les beaux jours venus! Ils ont droit, révèle Alex, au même discours de leurs parents que celui de Michel et Madeleine à leurs enfants : « Trouvez-vous un solide plan de carrière, mais la ferme sera toujours une option. »
DÉVELOPPEMENT DURABLE
La production porcine québécoise est « un petit poisson dans l’océan de la production mondiale », fait valoir Alex. Néanmoins, l’entreprise fait des gestes concrets vers la durabilité. Des exemples? Les deux porcheries d’engraissement, de béton et de plastique, dureront des décennies – peut-être même 100 ans? se demande Michel. Une durabilité à toute épreuve, à l’heure de la nécessaire diminution de l’empreinte carbone. À l’extérieur, la nouvelle fosse, recouverte d’une toiture, permet de diminuer le volume de lisier à épandre d’environ 20 %. Dans les bâtiments d’engraissement, des barrières en acier inoxydable d’Équipement F. Brodeur séparent les parcs et sont, de l’aveu de Michel, quasi indestructibles. Elle semble lointaine l’époque où on soudait des équipements en fer – et même celle des équipements en acier galvanisé!
Dans les pouponnières, une bonne partie des médicaments antidiarrhéiques sont remplacés par un remède de grand-mère qui a fait ses preuves : le gruau d’avoine, riche en fibres solubles qui stabilisent les intestins des tout-petits en transition d’un régime liquide à solide. Pareillement, et sur les conseils du vétérinaire Martin Choinière, affilié à RP2R, on fait bonne utilisation des huiles essentielles (Phytozen et Entero-V, de Probiotech), qui parfument l’eau d’abreuvement et calment les animaux lors des démarrages, des canicules ou des changements de phases alimentaires. Plus encore, ces extraits d’anis étoilé, curcuma, cannelle et romarin, additionnés de sel d’Epsom, maintiennent en bonne santé la microflore intestinale et améliorent le métabolisme digestif.
PROUESSES TECHNIQUES
La ferme se distingue par ses performances. En 2021, elle a affiché le meilleur gain moyen quotidien ajusté (30-135 kg) du réseau du RP2R avec une prise de masse de 1105 g par jour – soit plus d’un kilo! La conversion alimentaire s’abaisse à 2,64. Entrés à 26,9 kg, les suidés sortent à un poids moyen de 156,9 kg. En pouponnière, les performances figurent aussi parmi les 10 meilleures du réseau coopératif.
Étant donné qu’une ribambelle de personnes se relaient pour les besognes, comment assurer des performances continues? « Chacun observe des détails différents, dit Anne-Marie. On a toujours un regard neuf sur nos élevages. » Pour éviter la volatilisation de l’information, on communique abondamment par textos. « Il nous arrive aussi de faire les trains à deux, ce qui nous permet de travailler tout en socialisant », ajoute Emmanuelle, sous l’œil complice de sa belle-sœur. D’autres astuces : faire marcher les animaux pour mieux les observer et faire plusieurs tournées quotidiennes. « Si on les fait lever plus souvent, ils boivent plus, mangent plus, performent plus », explique Alex.
À forfait avec Profid’Or, La Coop Novago et RP2R par la suite, qui fournit porcelets, aliments et services techniques, les Chagnon s’enthousiasment de collaborer depuis 20 ans à bâtir une production dynamique. Être à forfait nivèle les pics et les creux pour plus de stabilité, estiment-ils. Autre avantage : la transmission de l’expertise des conseillers. « Quand j’ai commencé, on nous a dit qu’on n’avait pas besoin d’expérience dans l’élevage, mais qu’il nous fallait un bon vouloir », relate Michel.
Et le futur? aborde Alex. « On veut garder nos acquis, ne pas rester stagnants, naviguer dans la mondialisation, la production de masse, l’inflation. » Du même souffle, le pompier-éleveur déplore d’être pris en sandwich entre des écolos qui veulent des porcs qui sortent à l’extérieur et des consommateurs qui veulent du bacon et l’argent du bacon. « On est souvent plongés dans des difficultés financières continuelles, mais on garde la vocation : nourrir les gens du mieux possible, en tant que gardiens de l’environnement. » Les autres membres de la famille approuvent ce discours, qu’on résumerait par les mots « débat de société » : à la société de choisir ses aliments et son agriculture et de la soutenir adéquatement. Des éleveurs comme les Chagnon suivront.
Enfin, si la ferme présente l’envergure qu’on lui connaît, c’est bien parce que les profits ont été réinvestis, les termes des prêts raccourcis, les bâtiments entretenus et rénovés. « Si tous avaient pris de gros salaires, la ferme ne serait pas ce qu’elle est aujourd’hui », rappelle Michel, heureux d’avoir constitué un avoir, un patrimoine. Un patrimoine à saveur de point de ralliement pour les membres du clan Chagnon, qui, en bons carnivores, s’assemblent autour de la piscine, décrétée espace communautaire, où flotte le fumet d’une découpe sur le barbecue.
De quoi valider la devise de la tribu : « Un pour tous, tous pour le porc! »